Rétrospective Kiyoshi Kurosawa à la Cinémathèque Française

Publié le par pinku-chan

Ca y est ! Il y a tout juste dix ans, pour une précédente rétrospective présentée à la Maison de la Culture du Japon, il était encore “l’autre” Kurosawa. Les présentations ne sont plus à faire, aujourd’hui, et la programmation de la Cinémathèque Française qui débute le 14 mars prochain nous permet enfin d’aborder Kiyoshi Kurosawa dans l’ensemble de son oeuvre, et de saisir son étonnante diversité.
Seront bien sûr au programmes les films qui ont fait la réputation de l’auteur chez nous : le thriller surnaturel Cure et son épidémie de meurtres, l’errance symbolique autour d’un arbre vampire de Charisma et ses beaux films de fantômes, Séance ou Kaïro, qui ouvraient, à l’époque du Ring de Hideo Nakata une autre piste, plus mélancolique et méditative, dans le film d’horreur contemporain (et dont ou pourra relire la genèse dans l’excellent Fantômes du cinéma japonais de Stéphane du Mesnildot).

Oui, on reverra avec plaisir ces œuvres synonymes, en France, du passage au XXIe siècle, de son ouverture à un cinéma d’Asie contemporain gagnant toujours plus de popularité, et la découverte d’une angoisse “post-moderne” que l’on avait rarement su aussi bien exprimer.
Mais ce sont là des classiques, que beaucoup ont peut-être déjà vu et qui sont disponibles en dvd, et le principal intérêt de ce programme, c’est l’importante filmographie inédite de Kurosawa en amont de cette reconnaissance en Europe (qui participe, par un jeu d’allers-retours, du statut désormais inégalé de l’auteur dans son propre pays). A commencer par les tout premiers films du réalisateur, des œuvres tournées dans le circuit du cinéma “pink”, ces productions, l’érotisme étant leur seul impératif,  restant encore l’un des espaces de liberté privilégiés pour les jeunes réalisateurs japonais1 . Ainsi de la comédie Kandagawa Wars qui montre une mère accordant ses faveurs à son fils pour qu’il ne soit pas distrait et puisse se concentrer sur ses études, et une jeune fille essayant d’entraîner celui-ci hors du cocon familial. Le traitement y est plus burlesque que réellement émoustillant.

Repéré par le studio Nikkatsu pour sa branche « roman porno », Kurosawa tournera ensuite un sacré détournement de commande, l’étrange Excitement of the Do Re Mi Fa girl, dont la composante érotique est encore plus discrète. Premier chef-d’oeuvre de l’auteur (même si Kandagawa Wars est lui aussi tout à fait recommandable), le film est à la fois une élégie et une satire de la vie sur les campus universitaires, mêlée d’expérimentations godardiennes, d’influences SF (le script, qui met en scène un professeur de psychologie fou faisant des expériences sur le sentiment de honte et les modifications physiques qu’il entraîne, rappelle les manga horrifiques de Kazuo Umezu) de tours de chants (bien avant le buzzé Underwater Love de Shinji Imaoka) et est  traité encore une fois sur le ton de la comédie. Ce dernier aspect est en partie imputable au talent de Kensô Katô, sautillant zozotant qui apparaîtra la même année dans l’inégalable Tampopo de Jûzô Itami2 , pour une inoubliable scène de resto de quenelles. Lequel Jûzô Itami, qui joue également dans le film de Kurosawa, donnera aussi un rôle (non moins inoubliable) de pêcheuse de coquillages dans son western-nouilles à la véritable révélation de ce Doremifa girl: l’hypnotisante Yuriko Dôguchi qui joue ici une jeune ingénue venue de la campagne, découvrant l’univers impitoyable des campus de la capitale. On reverra Mlle Dôguchi plusieurs fois chez Kurosawa, puis chez Junji Iwai ou encore dans le minimaliste Heya de Sono Shion…

Nous sommes au milieu des années 80, et Kurosawa quitte le cinéma rose pour son premier film horrifique en 1989, Sweet Home, une production assez importante mais un échec artistique, parrainée (étouffée?) par Jûzô Itami (une fois de plus). Une histoire de maison hantée plus inspirée du cinéma d’horreur américain que du folklore local, et qui n’annonce en rien la nouvelle vague J-horror de la fin des années 90, mais dont la renommée est assez importante pour donner par exemple naissance à un jeu vidéo sur console Nintendo.
Par nécessité, ou bien pour retrouver une certaine liberté de ton, Kurosawa retourne alors à des projets plus modestes (The Guard from the Underground, Yakuza Taxi). Il entame enfin en 1995 la série des Suit yourself or shoot yourself (dont le titre original, Katte ni shiyagare, est aussi le titre japonais d’A bout de souffle), productions pour le marché de la vidéo et qui mêlent comédie et film policier. Shô Aikawa, star de ce cinéma bis de vidéo clubs, y incarne une petite frappe travaillant pour une société de recouvrement de dettes, embarqué avec son collègue jovial mais incapable dans des aventures qui tournent généralement mal, et finissant éternellement sans le sou, malgré sa bonne volonté. Six épisodes seront tournés en deux ans, et la série est un formidable laboratoire pour Kurosawa, lui permettant d’aborder différents genres et tons à la fois, et de développer un sens de l’absurde particulier qui n’est pas sans écho dans sa filmographie la plus sombre. Les meurtres d’apparence illogique de Cure descendent aussi bien de la sauvagerie refoulée du Gardien de l’enfer que de la violence banale et injuste qui frappe la petite pègre et les quartiers populaires de ces Suit yourself...

Cette filiation est peut-être encore plus visible dans le diptyque que tourne ensuite Kurosawa, toujours avec le même acteur principal, Les Yeux de l’araignée et Le Chemin du serpent (pour lequel il collabore avec Hiroshi Takahashi, le scénariste de Ring). Sorte de Smoking/No Smoking des bas-fonds, les deux films, réalisés avec la même équipe et les mêmes interprètes, sont basés sur une même histoire de meurtre d’enfant et sur la vengeance du père de la victime. Si le thème appelle un traitement désespéré, comme le feraient les cinéastes du néo-polar coréen contemporain, Kurosawa aborde encore une fois ces scénarios de biais... Les Yeux de l’araignée suit essentiellement le héros après sa vengeance. Quant au Chemin du serpent, très nébuleux, il s’attarde plus sur le personnage d’un professeur de mathématiques occultes qui aide le père de la victime dans sa recherche du coupable, pour des raisons très mystérieuses, et qui est souvent accompagné d’une fantomatique petite fille silencieuse. Malgré cela, ces films n’épargnent pas non plus de purs moments d’humour noir, accentuant la perte de repères et la fragilisation du genre.
La rétrospective de la cinémathèque sera également l’occasion de voir les films les plus secrets du réalisateurs. Comme ces films d’étudiant réalisés en 8mm, dont The War qu’il co-dirige avec son camarade, le trop discret Kunitoshi Manda. Ou le second programme de films réalisés pour la télévision qui inclut les épisodes qu’il dirigea pour la série Gakkô no kaidan, et qui font partie des plus beaux moments du film de fantôme japonais moderne. L’épisode sur la légende urbaine de Hanako, fantôme qui hante les toilettes pour filles des collèges, voit ainsi apparaître la figure de la femme en rouge, qui tient autant du spectre que de la sirène, et qui reviendra dans des films ultérieurs tenter ce vieux loup de mer ébahi (Ulysse en trench coat) de Kôji Yakusho…

Cette rétrospective aura le mérite, de présentant pour la première fois tout le « spectre » du travail de K.Kurosawa, de faire un sort à l’image gothique de ce dernier, et de tordre le cou à ce dualisme Français entre cinéma d’auteur et cinéma de genre, qui bien qu’illusoire se pertpétue dans les discours ou les revues à grand tirage. Œuvrant dans presque tous les registres, Kurosawa n’est ni l’artisan virtuose, ni l’auteur iconoclaste, il redéfinit les règles sans irrespect, ni se départir de ses motifs personnels…
Récemment, Kurosawa semble avoir fait ses adieux à la J-horror, avec un Rétribution somme et testamentaire, et un sublime Loft ouvert à l’ironie comme au mélodrame. Son dernier film, Tokyo Sonata s’inscrit dans le genre le plus noble au Japon, celui de la chronique familiale, sans pour autant marquer de rupture stylistique. On y perçoit même le retour d’une dimension politique héritée de ses tout premiers essais. Il y réussit surtout cet exploit inespéré : celui de ne pas nous faire regretter ses œuvres passées.


Kiyoshi Kurosawa à la cinémathèque, du 14 mars au 19 avril 2012
http://www.cinematheque.fr/fr/dans-salles/hommages-retrospectives/fiche-cycle/kiyoshi-kurosawa,444.html



1  Kurosawa et tant d’autres s’expriment à ce sujet dans l’excellent docu Pink Ribbon de Kenjirô Fujii, réalisateur d’un portrait de K.Kurosawa, The Ambivalent Future, qui sera visible dans le cadre de la rétrospective.

2   Dont c’est là le deuxième film en tant que réalisateur, après une assez longue carrière d’acteur, chez Ôshima, etc...

Publié dans Divers

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article